Corps à Corps [pv. Everest]

En dehors des murs de l’école de magie, la guerre millénaire entre les forces du Bien et du Mal avait de nouveau éclaté au grand jour depuis le retour de la Source. Everest, l’un des derniers Fondateurs rescapés, avait fait installer de nouvelles défenses tout autour de l’enceinte de son établissement. Après l’attaque des Cieux qui avait décimé bon nombre des Anciens, combien de temps l’école pourrait-elle encore continuer à se dresser fièrement avant qu’une catastrophe ne les rattrape tous ? Les attaques menées contre la Source étaient encore trop désordonnées, et Everest sentait plus que jamais que les rangs du Bien avaient besoin d’un véritable leader pour les mener jusqu’à la victoire. Chaque jour, il jonglait entre ses obligations de Directeur et ses stratégies de Fondateur pour assurer la survie des créatures bénéfiques de San Francisco. Chaque soir, il s’effondrait, épuisé par l’immensité de la tâche.

Heureusement, Valentin était entré dans sa vie et lui apportait tout le réconfort dont il avait secrètement toujours eu besoin. Par sa simple présence, le jeune homme avait su apporter une structure plus saine à la vie d’Everest. Le Fondateur se surprenait parfois à sourire en l’observant. A quand remontait la dernière fois qu’il avait ne serait-ce que sourit aussi honnêtement et naturellement, pour quelque raison que ce soit ? Everest ne s’en souvenait même pas.

Au cœur de son emploi du temps incroyablement rempli, l’immortel faisait au mieux pour s’assurer que Valentin et lui puissent être ensemble chaque jour pendant quelques petites heures. Ce jour ne faisait pas exception, et Everest avait donné rendez-vous à Valentin dans les cachots. Il était occupé à frapper dans un sac de sable suspendu au plafond lorsque son protégé se manifesta. « Ah, te voilà ! » Un nouveau sourire, incontrôlable petite preuve d’affection, s’étira sur ses joues.

Everest releva un pan de son t-shirt gris pour essuyer la sueur qui perlait sur son visage et desserra ensuite avec ses dents les bandes de protection enroulées autour de ses poignets. Il fit quelques pas en direction de Valentin en désignant l’immense pièce qui les entourait. « Les donjons de l’école de magie sont un endroit très spécial… C’est ici que l’on enferme nos prisonniers de guerre depuis des millénaires. Les pierres de ces murs sont imprégnées de tellement de sortilèges qu’elles en sont pratiquement invincibles. De toute l’école, c’est probablement le lieu où la magie est la plus intense… et donc, la plus dangereuse. » Il suffisait de pencher l’oreille vers l’un de ces murs anciens pour entendre distinctement les vibrations magiques à l’œuvre, créant comme une caisse de résonnance pour toutes sortes d’énergies.

« Je ne veux pas que tu te retiennes, aujourd’hui. De toute évidence, quelque chose en toi a… changé et a redéfini jusqu’à l’essence même de tes pouvoirs. Je veux que nous allions chercher tes nouvelles limites. » Valentin lui avait demandé de le ménager, n’ayant visiblement pas la moindre idée de ce qu’Everest avait en tête pour lui. Un simple regard à l’aura du jeune sorcier suffisait parfois à l’éblouir tant l’énergie magique qui se dégageait de lui était violente. Si le rituel magique qu'il avait initié avec les Fondateurs avait bel et bien fonctionné, alors il avait face à lui l'un des nouveaux porteurs du Pouvoirs des Trois, un sorcier d'une puissance incroyable qui pourrait s’avérer décisif pour vaincre la nouvelle Source et les forces du Mal.

On ne faisait pas naitre des héros en les ménageant. Valentin possédait des pouvoirs extraordinaires qui ne demandaient qu’à s’extirper de ses tripes. Mais pour cela, il fallait probablement les brusquer un peu. « J’espère que tu es prêt, car je ne vais pas te ménager. En garde ! » Sans dire un mot de plus, Everest s’élança sur le reste de la distance qui les séparait. Dans sa course, il tendit la main ; une immense hache médiévale s’arracha du mur de l’armurerie pour voler jusque dans sa paume de main. Ses bras musclés se serrèrent autour du manche juste au moment où il arrivait sur le jeune homme, et il l’abattit de toutes ses forces en direction de son épaule.

L’intangibilité. Everest n’avait pas vraiment prévu que Valentin se souviendrait comment utiliser ce pouvoir à la perfection – il s’imaginait plutôt se voir immobilisé par une puissante attaque mentale. Mais cela ne faisait que confirmer la diversité des capacités magiques que possédait le jeune sorcier, et tout cela ne faisait que le rendre plus dangereux.

La hache brandie par Everest traversa ainsi le corps de son protégé comme s’il n’était qu’un nuage d’air sans consistance. Entrainé par le poids de son coup, le Fondateur se trouva un instant dos à Valentin – quelques moments suffisants pour que le sorcier ne lui lance des poids, dont un qui lui frappa l’épaule si brutalement qu’il en lâcha son arme. Le Fondateur serra les poings, matérialisant autour de lui un champ de force juste assez épais pour absorber l’impact du second qui vint s’y échouer dans un grand bruit de fracas métallique.

Le bouclier magique disparut aussi vite qu’il était apparu, dévoilant un Everest aux yeux féroces. Plantant son regard sur Valentin pour se tenir prêt à esquiver une nouvelle salve de projectiles, l’homme balaya la sueur qui perlait sur son front et enleva en quelques gestes habiles son t-shirt froid et humide qui lui collait à la peau et ralentissait ses mouvements. Un bel hématome commençait déjà à se former sur l’épaule qui avait essuyé le coup du poids, mais Everest ne pouvait s’empêcher de sourire en entendant la voix de son ami. Il ne ferait plus l’erreur de le sous-estimer. « Je vois ça. Et comme tu ne culpabilises pas à me faire quelques bleus… J’en ferai de même. » Et, dans une myriade d’éclats bleutés, Everest disparut.

Le Fondateur se téléporta de l’autre côté de la pièce mais s’assura de se rendre invisible avant de réapparaitre. Il fit quelques pas pour que le bruit attire l’attention de Valentin, disparut à nouveau pour répéter la manœuvre dans un autre coin de la pièce, et recommença plusieurs fois. Pour le désorienter un peu plus, il commença à user de sa télékinésie pour pousser le sorcier. Il modela son pouvoir pour lui envoyer des petits coups brusques mais peu violents contre son flanc et son abdomen, afin de le faire vaciller en arrière ou sur la droite… Puis, voulant le frustrer au maximum, Everest se saisit de sa télékinésie pour lui attraper la cheville et le mollet droit. D’un coup, Valentin se retrouva suspendu à l’envers : une vieille chaine accrochée au mur vint s’enrouler autour de son pied et planta son autre extrémité dans une pierre du plafond vouté.

Gardant son ancien élève pendu la tête en bas, Everest lança : « Allez, Valentin… Libère-toi, trouve-moi, attrape-moi si tu le peux. » Sa voix résonnait en écho dans la grande pièce, si bien qu’il était difficile d’en déduire la position du Fondateur invisible. Un sourire carnassier ne quittait plus ses lèvres tant ce petit jeu avec son protégé l’amusait. « Ne retiens rien. »

Valentin s’était libéré. Sans grâce, certes, mais ce n’était pas ce qui importait : le sorcier venait de prouver au Fondateur qu’il était capable de se sortir de situations épineuses, qu’il arrivait à accéder à ces pouvoirs difficilement maitrisés quand il était face au danger. Mais quand on est attaqué, se sortir d’un faux pas n’est que le début d’une stratégie de combat. Il allait maintenant lui falloir localiser son adversaire… et répliquer.

Everest l’observa, sourire aux lèvres, caché derrière son voile d’invisibilité. Valentin se parlait seul, des mots que le tricentenaire peinait à entendre à cause de la distance. Son étudiant du jour avait l’air particulièrement concentré sur la tâche qui était la sienne : user de ses pouvoirs mentaux pour retrouver une aiguille dans une botte de foin – ou plutôt, dans la situation actuelle, un grand gaillard d’un mètre quatre-vingt-dix et quatre-vingt-quinze kilos caché dans cet immense cachot.

Bien décidé à ne pas lui rendre la tâche facile, Everest se déplaçait en silence pour tenter de brouiller les pistes. Mais Valentin sembla relever le défi avec brio. Quelques minutes plus tard, grâce à ses pouvoirs mentaux, le sorcier parvint à deviner sa présence et envoya de nouvelles armes dans sa direction. Everest les para sans difficulté grâce à un champ de force magique qui disparut aussi vite qu’il n’était apparu, mais c’était trop tard : cette distraction avait permis à Valentin de se glisser à ses côtés à toute allure, et le Fondateur bascula en arrière en sentant son jeune ami l’attraper.

Dans un réflexe, Everest attrapa Valentin dans ses bras quand ce dernier bondi contre lui. Entrainé par le poids du jeune homme, ils basculèrent en arrière, Everest le serrant davantage dans ses bras pour le protéger de la chute. Sa concentration envolée, le filtre d’invisibilité qui le recouvrait s’envola alors qu’ils roulaient sur le dos. Le grand brun éclata de rire alors qu’il reprenait le souffle après ce roulé-boulé. « Tu n’y as jamais été de main morte, ça ne devrait pas me surprendre ! »

Redressé sur le coude, il surplombait légèrement le corps de Valentin, bloquant sa fuite de son genou. Profitant de cette proximité, il détailla ses traits d’un regard neuf, admirant la beauté de ce visage singulier. Il était sur le point de se perdre dans ses pensées et dû se faire violence pour se reconcentrer : il ne savait pas encore à quel point les pouvoirs télépathiques et empathiques de son protégé avaient refait surface, et certains de ses désirs n’étaient pas faits pour être partagés. Il se racla la gorge et dressa un mur mental devant ses pensées inavouées, rompant pour de bon ce moment de contemplation silencieux.

Everest fit alors basculer son poids en arrière et se redressa. Après avoir aidé Valentin à se relever, il fit voler jusqu’à eux deux longs bâtons de bois, parfaits pour l’exercice suivante. « Tu peux désormais voir l’avenir, pas vrai ? » Il fit tournoyer le bâton de combat entre ses mains, faisant siffler l’air autour de l’arme. Ses traits s’étiraient dans un air malin. Il brandit l’arme, prêt à frapper... « Alors devine de quel côté viendra le prochain coup » … et s’élança dans sa direction, sans merci.

Le bâton brandit par Everest toucha sa cible à toute allure, occasionnant un bruit sourd. Valentin n’avait pas réussi à l’arrêter à temps, et Everest ne l’avait pas raté… Il se sentit coupable en voyant les traits tirés de son protégé et sa main qui massait le point d’impact. Le Fondateur prendrait soin de guérir tous ces bobos infligés pendant l’entrainement à la fin de la séance. Pour l’heure, il essaya de rester impassible. « Pas avec cette attitude, ça c’est sûr ! »

Il fit à nouveau tournoyer le bâton entre ses paumes expertes et enchaina plusieurs parades, prenant soin de ne pas frapper Valentin cette fois-ci mais son bâton, pour que son jeune protégé puisse souffler. « Tu crois que les démons te laisseront le choix d’avoir une prémonition quand ça te chante ? » Valentin s’était ressaisi, usant son arme avec énergie et détermination. Everest parait ses coups, continuant son petit laïus, ignorant ce qui se jouait dans l’esprit du jeune sorcier. « Parfois il faut savoir forcer le destin. »

C’est alors que le visage de Valentin changea de couleur, et Everest se demanda si son protégé allait tourner de l’œil tant il lui parut blême. Il tendit la main vers lui mais s’interrompit en voyant une lumière intense commencer à irradier de lui et…

Le choc de la vague d’énergie qui balaya alors la pièce fut tel qu’Everest fut projeté en arrière. Dans sa main gauche, son bâton de combat s’était fendu en deux morceaux avant même que le Fondateur n’atterrisse sur ses fesses en grognant. « Ça va, ça va » dit-il pour rassurer Valentin pendant qu’il se relevait en se frottant le bas du dos. Il regarda les dernières volutes d’énergie se dissiper autour de Valentin, dont l’aura lui semblait plus éblouissante que jamais. « Une chose est sûre, ça, c’est nouveau… »

Le Fondateur utilisa son pouvoir télékinétique pour raccrocher au mur les armes tranchantes – il valait mieux faire attention avec ces choses maintenant que Valentin pouvait exploser d’énergie à tout moment et les envoyer voler dans n’importe quelle direction. Ce faisant, il s’approcha du jeune homme pour l’examiner, et tourna autour de lui pour l’observer des pieds à la tête. Non, à part la lumière, rien n’avait changé, Valentin avait toujours le même corps – et quel corps ! A nouveau, le Fondateur chassa ces pensées impures à l’arrière de son esprit.

Everest posa alors une main sur le front du jeune homme comme pour prendre sa température. Il cherchait en réalité une sorte d’empreinte psychique que son pouvoir de lecture d’aura aurait pu lui révéler, mais rien n’apparut – l’esprit de Valentin était bien trop puissant pour se laisser dévoiler de la sorte. « Dis m’en plus sur ce qui vient de se passer. Qu’est-ce que tu as ressenti ? Comment c’est apparu ? » En comprenant le déclencheur de ce nouveau pouvoir, peut-être parviendrait-ils à l’apprivoiser, ensemble. « Et surtout… tu arriverais à le refaire ? » En prévision d’un nouveau choc, le Fondateur activa une bulle protectrice autour de lui.